Danielle Casanova
Portraits
Marie-Claude Vaillant-Couturier – Discours à Ajaccio -1983 :
« Tous ceux et celles qui l'ont connue gardent d'elle l'image d'une jeune femme au teint mat, aux cheveux noirs. Ils revoient ses yeux toujours extrémement brillants, souvent pétillants de gaîté et même de malice.
Danielle Casanova était corse jusqu'au bout des ongles. Elle aimait son île avec la passion qu'elle mettait en toute chose. Nous la taquinions parce qu 'elle trouvait que tout y était plus beau, le ciel plus bleu, les fleurs plus odorantes, les fruits plus savoureux. Je me souviens qu'après notre arrestation, lorsqu'à Romainville elle a pu recevoir un colis contenant des prunes et des figues séchées et que nous avons reconnu qu'effectivement elles étaient plus parfumées que les fruits du continent, Danielle triomphait : Vous voyez bien que ce n'est pas l'amour du pays natal qui m'aveugle. Vous verrez comme c'est beau la Corse quand vous viendrez chez moi après la victoire.
Elle aimait passionnément la vie sous tous ses aspects. Elle trouvait par exemple que manger un bon Bruccio, admirer un coucher de soleil sur les Calanches de Piana, ou écouter une symphonie de Beethoven étaient des plaisirs différents et qu'il n'y avait pas de hiérarchie à faire entre eux.
Danielle était un mélange de passion et de raison. Sa tête fonctionnait aussi bien que son coeur battait fort. Je pense que son amour de la liberté et sa haine contre toute injustice, qui, d'après sa maman, madame Périni se manifestait dès son jeune âge ont été déterminants pour l'orientation de sa vie :
-pour le choix de sa profession, l'école dentaire plutôt que l'école normale supérieure comme l'auraient souhaité ses parents, instituteurs l'un et l'autre, mais qui impliquait d'être pensionnaire pendant plusieurs années ;
-pour sa décision peu de temps après son arrivée à Paris, d'adhérer à l'Union Fédérale des étudiants puis à la Jeunesse Communiste en 1928.
Quand je l'ai connue en 1937, j'admirais son incroyable énergie et sa faculté de mener tout de front : Sa vie professionnelle, avec Deux dispensaires et un cabinet dentaire ; sa vie de militante, notamment comme secrétaire générale de l'Union des Jeunes Filles de France ; elle trouvait aussi le temps de vivre avec Laurent Casanova une vie heureuse de couple, d'être une fille et une soeur chaleureuse et attentive, d'être une amie dans le sens le plus plein de ce terme.
Elle était une journaliste née. Le journal qu'elle avait créé, « Jeunes filles de France », étant son enfant chéri,elle en était le directeur, le secrétaire de rédaction, elle le mettait en page et était l'auteur de nombreux articles, surtout dans les débuts. Je faisais partie de sa nombreuse clientèle gratuite et tout en me passant la roulette elle me disais ce qu'elle pensait mettre dans le prochain numéro et me demandais mon avis. Moi, naturellement,étant donné ma position, je ne pouvais pas lui répondre immédiatement, mais la plupart du temps j'étais d'accord. Quand on discutait Danielle défendait son point de vue avec fougue mais elle écoutait son adversaire et réfléchissait.
Elle avait du rôle de la femme la conception que nous en avons aujourd'hui comme le montre cette phrase de son discours au congrès de l'Union des Jeunes Filles de France en décembre 1936 : Il n'est désormais plus possible à la femme de se désintéresser ds problèmes politiques, économiques et sociaux que notre époque pose avec tant de force (…) la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social »
Je peux dire aux jeunes femmes et aux jeunes filles présentes dans cette salle que cette manière de voir qui paraît naturelle aujourd'hui n'était pas courante il y a 47 ans.
Cela permet du reste de mesurer combien Danielle Casanova était en avance sur son temps -parce qu'elle était communiste bien sûr mais pas seulement- et pour vous qui vivez en 1983 de mesurer le chemin parcouru et ce qui reste à faire. Il y a encore du pain sur la planche dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres.
Danielle avait au plus haut point la faculté de savoir convaincre et faire agir. Ces qualités qui faisaient d'elle une dirigeante se sont manifestées aussi bien avant guerre -pour créer une organisation de Jeunes filles qui est passée en trois ans de 4000 à 20000 adhérents- que dans la lutte clandestine contre l'occupant nazi. Très nombreuses ont été les membres de l'UJFF qui sont devenues grâce à l'influence de Danielle des cadres de la résistance dans toute la France. »
Denise Masson, amie de Danielle : « Nous l'aimions parce que nous avions confiance en son intelligence lucide. Nous l'aimions parce qu'elle était belle et bonne et que nous retrouvions en elle le meilleur de nous-mêmes. Nous l'aimions parcequ'elle était courageuse et noble. Nous l'aimions parce qu'elle était la vie et la joie. Paris et la France garderont parmi leurs souvenirs les plus beaux, celui de ce cortège de jeunes filles en frais corsages, chantant leurs espoirs en la vie, conduites par Danielle »
Georgette Cadras : « Hâtivement elle batit un home et chercha à se transformer pour échapper aux recherches des policiers. Une femme entierement nouvelle apparaît : Danielle se fait alors une silhouette élégante, elle a les cheveux bouckés, elle est impécablement mise. Un soir on me fit la rencontrer. Je la trouvais belle, enthousiaste et tellement convaincante ! Ma joie fut immense quand elle m'apprit que j'allais travailler avec elle. »
Marie Stefanini : « Elle aimait fréquenter les femmes de prisonniers de guerre, et régulièrement toutes les semaines elle allait dîner chez l'une d'elles et elle la faisait sortir au cinéma ou au cirque. »
Récit de Manca Svalbova (témoignage public à Prague en 1946)
Quand Danielle arriva, dès qu'elle m'eut donné la main, son regard , je sus qui était Danielle Casanova : Dans les yeux noirs de cette Corse, brillait la décision, la sincérité. Son sourire était large, presque naïf avec quelque chose d’une gaîté enfantine, l’art de savoir se réjouir du bleu du ciel. Ses yeux disaient la joie des fleurs, des cristaux de neige collés contre la vitre. Sa poignée de main virile était celle d’un homme, d’une camarade, d’une compagne. Danielle parlait peu. Très vite pourtant elle incarna pour nous toutes un idéal. Elle devint un symbole, et pas seulement un exemple pour les Françaises…
De cette intellectuelle, de cette personnalité de grand style, rayonnait un charme enchanteur. Elle n’avait pas le retranchement des intellectuels mais au contraire, une façon particulière d’approcher et d’attirer à elle les couches sociales les plus différentes, les opinions politiques les plus divergentes. A chacun elle savait parler de son propre langage. J’avais l’impression qu’elle avait elle-même vécu tous les sorts. Avec quelques phrases à vous envelopper, à vous embrasser, il vous semblait avoir toujours connu son visage et que ses bras vous avaient déjà sauvé. "
Hélène Chaubin - La Résistance en Corse, 2e édition, AERI, 2007.
Danielle Casanova est née Vincentella Perini, le 9 janvier 1909 à Ajaccio, dans une famille d'instituteurs composée de cinq enfants. Son père est un sympathisant communiste. L'une de ses trois soeurs est Emma Choury, l'épouse de Maurice Choury, l'un des dirigeants du Front national en Corse, auteur de Tous bandits d'honneur.
Munie de ses bacs obtenus au Luc dans le Var, elle continue ses études au lycée Longchamp à Marseille en qualité de boursière. Après 3 semaines d’hypokhâgne, elle quitte Marseille. Elle part à Paris chez son frère journaliste pour faire dentaire (elle sera chirurgien-dentiste en 1932). En novembre 1927, une fois inscrite en dentaire de la rue Garancière, elle adhère avec enthousiasme à l’Union Fédérale des Etudiants (U.F.E), elle a 18 ans. En octobre 1928, elle adhère aux Jeunesses communistes. Devenue responsable de la section dentaire de l’U.F.E, elle collaborait au journal et le vendait à la criée. C’est pendant ses classes militantes qu’elle rencontre Laurent Casanova, qu'elle épousera le 12 décembre 1933. En février 1934, élue membre d’une nouvelle direction des Jeunesses Communistes puis Secrétaire générale du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme, elle participe activement au journal Jeunes Filles de France.
Au cours de l'année 1934 toujours, elle suit pendant un mois l'école du parti à Moscou, et intègre le comité central des Jeunesses communistes. Quand l'Union des jeunes filles de France est créée en 1936, elle en devient la secrétaire générale. Elle est ainsi à l'origine des comités populaires féminins de la Résistance et créé le journal La Voix des Femmes. Elle participe à la formation des premiers groupes de Francs-Tireurs et Partisans. Elle reste fidèle à son engagement militant après l'interdiction de son parti, en septembre 1939, et agit désormais dans la clandestinité.
En octobre 41 avec l’aide de Josette Cothias, elle édite une Humanité des femmes. Fin janvier 1941, Danielle lance le premier numéro du bulletin Le trait d’union des familles de P.G qui paraîtra jusqu’en 1944. Danielle est au cœur du mouvement de protestation contre l’occupant et la politique de Vichy. La direction du PC l’avait également chargée de rassembler les intellectuels patriotes, nouvelles activités qui la conduiront directement à l’arrestation. Danielle a été arrêtée le lendemain de sa rencontre avec Josette Cothias près du Pont Mirabeau le 15 février 1942, victime d’un « coup de filet » préparé de longue date. Elle reste au Dépôt de la Préfecture de Police jusqu’au 23 mars. Elle y a retrouvé des amies : Maï Politzer, M.C Vaillant-Couturier. Le 23 mars elles quittent le Dépôt pour la prison de la Santé. Elles y resteront 5 mois ½, souffrant de la faim et de la présence de la mort. Le 9 juin 1942, les femmes sont emmenées rue des Saussaies pour interrogatoire par la Gestapo. Incarcérée à Romainville, elle devient la rédactrice en chef du Patriote de Romainville, rédigé par des patriotes de toutes opinions, écrit et recopié à la main. Le 21 janvier 1943, presqu’un an après son arrestation, Danielle est déportée. Le convoi arrive à Auschwitz-Birkenau ; elles sont 230. C’est le convoi des otages, des veuves, convoi-symbole des femmes de la Résistance, elles avaient entre 17 et 69 ans. A leur arrivée au camp le jour se lève à peine, et sous l’œil médusé des SS, les Françaises passent la porte du camp en chantant à tue-tête. La dentiste en fonction venait de mourir du typhus et Danielle la remplace. Elle se trouve ainsi dans une situation exceptionnelle, elle distribue à ses camarades les plus démunies nourriture et lainages, et des médicaments volés. Elle a presque immédiatement établi le contact avec l’organisation clandestine. Et grâce à la complicité de Malhova (interprète slovaque) et de la communiste Gerda Schneider, elle trouve la filière internationale de la résistance. Début mai 1943, des tracts dénonçant l’horreur d’Auschwitz circulent en France. Danielle connaît le block 26 où sont parquées ses camarades. Elle y va le soir soigner les malades, consoler, encourager. Les camarades meurent les unes après les autres, vaincues par le typhus. Sur les 49 rescapées du convoi, seules 3 réussirent à échapper au typhus. Le 1er mai 1943, prise d’une violente fièvre, elle ne reconnaissait personne. Puis la fièvre est retombée, signe fatal. Le 9 mai 1943, Danielle n’est plus, elle est tombée sans avoir jamais cessé de croire dans la vie nouvelle. Danielle Casanova est l'une des figures les plus emblématiques de l'esprit de Résistance des Corses.
Alta Frequenza - Storia Nustrali - Danielle Casanova racontée par Isaline Amalric Choury
Les dossiers de Mémoire Vive N°4 - Danielle Casanova de la militante à l’héroïne - par Elsa Rouzier