Résistante jusqu'à sa mort


Un aperçu de la courte vie de Danielle Casanova

Vincentella Périni, que l'on surnommait Lella, est née le 9 janvier 1909 à Ajaccio. Elle est la troisième enfant d'un couple d’instituteurs. Son frère aîné, André, est né le 30 mai 1901; sa soeur Marie-Leina est née le 4 mai 1905; plus tard naîtront ses soeurs: Renée le 21 mars 1914 et Emma, le 14 avril 1916. Tous les enfants Périni sont nés à Ajaccio. Leur grand- père maternel était juge de paix. Leur grand-mère, paysanne vêtue de noir, ne voulut jamais parler que le corse.

Vincentella passe ses vacances scolaires à Vistale, un petit hameau de la commune de Piana où vivent ses grands-parents. Fille d’instituteurs, la jeune Lella (c’est ainsi qu’on la surnomme dans sa famille) fait ses classes primaires en Corse, poursuit ses études secondaires à Ajaccio puis au collège du Luc (Var) où elle suit l'une de ses professeurs. Après un bref passage en classe préparatoire, elle s'inscrit à l'école dentaire de Paris. Elle y découvre l’Union fédérale des étudiants, organisation étudiante de gauche à laquelle elle adhère avant d'en devenir responsable. Vincentella se fait alors appeler Danielle et devient très vite secrétaire du groupe de la faculté de médecine. En 1928, elle s’engage dans les Jeunesses communistes de la faculté et milite dans les Ve et XIIIe arrondissements.

En 1933 Hitler arrive au pouvoir en Allemagne et en février 1934, les ligues fascistes tentent de renverser la République en France. En février 1934, au congrès d'Ivry des Jeunesses communistes, Danielle Casanova est élue membre d'une nouvelle direction du Mouvement. Dès le mois d'octobre, le nombre d'adhérents de la Jeunesse Communiste passe de 4 198 à plus de 15 000. En décembre 1935, ils atteignent 30 000.

Décision est prise de donner aux jeunes filles une organisation vraiment à elles. En décembre 1936, elle devient secrétaire générale de l’Union des jeunes filles de France dont elle dirige le journal. Les objectifs du mouvement sont la lutte contre le fascisme et la solidarité avec les républicains espagnols, le tout sur fond de féminisme et de pacifisme

Jusqu’à sa mort, elle n’a jamais cessé de militer, Elle fut la première à prôner l'épanouissement des femmes. Les femmes de sa génération s'en souviennent : Elle avait du rôle de la femme une conception très moderne, assez inhabituelle pour l’époque. En Décembre 1936, elle proclame que « la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social ». Pour honorer ce rôle précurseur, un timbre à son effigie sera émis le 8 mars 1983 à l'occasion de la première célébration en France de la journée internationale des femmes.

En 1937, lors du congrès international de la jeunesse à New York, elle affirme sa volonté de défendre la paix et la liberté dans l'union la plus large de toutes les forces opposées à la guerre et au fascisme. Son action s'étend désormais au plan international. Elle organise, avec l'Union des jeunes filles de France l'aide aux enfants de la guerre d'Espagne. Enfin, dés septembre 1939, elle entre dans la clandestinité pour mener le combat contre l’occupant nazi. Elle contribue à la presse clandestine, notamment pour « la Pensée libre » et fonde « la Voix des femmes ».

Dès l'annonce la guerre en 1939, c'est à Montreuil que se regroupent pour la dernière fois les jeunes filles appartenant aux l'Union des jeunes filles de France créée par Danielle Casanova. Cette dernière, montée sur un banc public du jardin public du square de la mairie harangue la foule et lui clame "Nous saurons faire notre devoir de Française". " Leur "devoir de Français", les Montreuillois ont su le revendiquer. Après juin 1940 et la signature de l'armistice, des contestations contre l'occupant naissent. Malgré l'abattement de la défaite, les premiers signes de refus se manifestent rapidement. La réaction vient d'abord des communistes dont l'action est tournée contre le régime de Vichy : lors de la première manifestation du 23 juillet 1940, ils forcent les portes de la mairie pour tenter d'y installer les anciens élus communistes destitués de leurs fonctions depuis 1939. L'ancien maire Fernand Soupé avait été déchu en octobre 1939. Plusieurs manifestants sont arrêtés. Vanessa Benech in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

À partir d'octobre 1940 Danielle participe à la mise en place des Comités féminins en région parisienne et s’occupe des familles des prisonniers de guerre. Elle organise dans Paris de nombreuses manifestations contre l'occupant, notamment celles des 8 et 11 novembre 1940 suscitées par l'arrestation du professeur Paul Langevin, puis celle du 14 juillet 1941, ou l’on vit avec stupéfaction un immense drapeau tricolore sortir du métro tandis que résonnait la Marseillaise.

Lorsque Gabriel Péri et Lucien Sampaix furent fusillés ainsi que 100 otages, elle rédigea un tract qu’elle fit circuler :

« Malédiction sur les barbares allemands! Que le sang et les larmes qu’ils ont fait couler en ce noël tragique retombe sur eux ! (…) Portons le deuil de tous ces martyrs innocents. (...) En disant adieu à Gabriel Péri et à tous ces martyrs, jurons de les venger. Ils sont morts comme ils ont vécu au service de la France ! »

Elle fut, enfin, avec Albert Ouzoulias, à l'origine des “Bataillons de la jeunesse”, ces groupes armés qui donneront en 1941 le signal de la lutte contre l'occupant en tuant un officier allemand dans les couloirs du métro.

Filée depuis longtemps par la police française, Danielle est arrêtée le 15 février 1942, elle sera interrogée au dépôt de la préfecture jusqu'au 23 mars, emprisonnée ensuite à la Santé et enfin livrée à la Gestapo le 9 juin. Gardée comme otage politique au Fort de Romainville à partir du 24 aout 42, elle est déportée le 24 janvier 43 à Auschwitz ou elle mourra du typhus le 9 mai.

Dès son arrestation et jusqu'à sa mort, Danielle Casanova s'illustra par son esprit de solidarité et de résistance. Au Fort de Romainville, elle met en place une organisation clandestine disposant d’un journal, écrit et recopié à la main: « le Patriote de Romainville ». Elle parvient à faire parvenir des lettres à sa mère depuis le dépôt de la préfecture puis du Fort de Romainville. Elles sont toutes empreintes d'un extraordinaire courage, d'un élan vital irrépressible, d'une confiance lucide en l'avenir, comme en témoignent ces quelques brefs extraits :

Si je n’ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de Corse, ni celui de l’Ile-de-France, j’ai du soleil plein le cœur; je suis calme et solide.
A l’heure actuelle, c’est une fierté que d’être emprisonnée.
Nous ne sommes jamais tristes. La souffrance n'attriste pas elle donne des forces.
Si le ventre est creux, j'ai toujours bon pied, bon œil. Vois-tu, ils peuvent nous tuer, mais de notre vivant, ils n'arriveront jamais à nous ravir la flamme qui réchauffe nos cœurs.
L'air est léger et l'espoir habite mon cœur ; en fait, il y a élu domicile depuis toujours. Je connais la souffrance mais pas la tristesse, et je trouve la vie si grande et si belle.
Nous ne baisserons jamais la tête ; nous ne vivons que pour la lutte. Les temps que nous vivons sont grandioses. Je vous dis au revoir ; j’embrasse tous ceux que j’aime. N’ayez jamais le cœur serré en pensant à moi. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n’avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France sera libre et notre idéal triomphera.

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Ce courage et cette volonté de résister et de garder dignité humaine ne la quitteront pas en arrivant à Auschwitz. Après l'angoisse du voyage en train, c'est l'horreur pour le convoi des femmes qui découvrent le camp de concentration, les cris des SS et les aboiements des chiens. Où sont-elles donc ? Elles ont peur. Danielle qui chantait faux souffle alors à une compagne : « la Marseillaise! ». Et les françaises passent la porte du camp, en chantant la marseillaise à tue-tête sous l’œil médusé des SS.

Elle a presque immédiatement établi le contact avec l’organisation clandestine. Et grâce à la complicité de Malhova (interprète slovaque) et la communiste Gerda Schneider elle trouve la filière internationale de la résistance..

Elle contribue à faire connaitre à l'extérieur la vérité sur le sort des détenus. Dés fin avril, début mai 1943, des tracts dénonçant l'horreur d'Auschwitz circulent en France. Elle se rend chaque soir dans le block 26 où sont parquées ses camarades, console les mourantes, vole des médicaments et soigne les malades.

Le 9 mai 1943, elle meurt du typhus, victime des visites quotidiennes qu'elle rendait aux contagieuses.

Madame Périni a appris en Corse le décès de sa fille en novembre 1943, suite à une lettre de juillet 1943 écrite par Marie-Claude Vaillant-Couturier à Auschwitz-Birkenau, lors de la quarantaine des survivantes du convoi : « Je suis bien triste qu’Hortense soit chez son père. Je pense aussi beaucoup au pauvre petit Mimi. Dieu merci, je sais que vous en prendrez soin ». Pierre Villon, époux de Marie-Claude, cherche à en comprendre le contenu avec Laurent Casanova. Hortense avait été un des pseudonymes clandestin de Danielle dont le père était mort depuis longtemps. Mimi, c’est ainsi que l’on appelle le fils de Maï. Le message est clair : elles sont mortes toutes les deux.

L'Avant Garde, journal des jeunesses communistes, évoque sa mort dans un article en 1943

Danielle et la résistance

L’organisation de manifestations

Dirigeante de la jeunesse communiste, elle prend part le 8 novembre 1940 à l'organisation d'une manifestation des étudiants communistes contre l'arrestation de Paul Langevin, professeur au Collège de France ; en décembre 1941, à l'annonce de l'exécution de Gabriel Péri, elle écrit un tract maudissant les assassins :

Simone Thery témoigne (Extrait de « Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova »- Editions hier et aujourd'hui)

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Le 11 novembre 1940 elle organise la participation des étudiants communistes à la manifestation patriotique de l'Arc de Triomphe avec les étudiants gaullistes ;

Le 14juillet 1941 une manifestation est organisée sur les grands boulevards à Paris. Deux jeunes communistes partent en courant, déployant de grands drapeaux tricolores, d'autres disséminés parmi les nombreuses personnes lançant des mots d'ordre : Vive la France, à bas l'occupant nazi ! Et la Marseillaise est reprise par des passants.

Marie Elisa Norman témoigne : "Malgré la repression qui s'intensifiait de jours en jour, Danielle continuait son combat. Elle organisa plusieurs manifestations dont celle du 14 juillet à laquelle on lui avait interdit d'aller de peur qu'elle ne se fasse arrêter. Les manifestants portaient le drapeau bleu blanc rouge. Danielle est allée en douce à la sortie du métro, pour questionner les jeunes, les étudiants surtout, qui étaient au rendez-vous. Elle discuta, interrogea ces braves femmes sur le quai... Danielle était fière d'elles.»

les bataillons de la jeunesse

Elle participe à la formation des premiers groupes armés, les bataillons de la jeunesse, qui donneront en 1941 le signal de la lutte contre l'occupant en tuant un officier allemand dans les couloirs du métro et qui devaient devenir les Francs Tireurs et Partisans, les FTP.

Simone Thery témoigne (Extrait de « Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova »- Editions hier et aujourd'hui) :

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La voix des femmes

Parallèlement, dès le début de l'occupation, elle cherche comment faire agir les femmes. Etant elle même femme de prisonnier de guerre, elle organise des manifestations en direction des mairies pour réclamer du ravitaillement pour les enfants et le retour des maris. La plus importante a eu lieu devant le Ministère des prisonniers en rassemblant près de deux milles femmes. Elle publie un journal clandestin « La voix des femmes » ayant pour but d'élever les consciences et appelant à la lutte contre l'occupant.

Ce sont ces différentes actions qui ont donné naissance peu à peu aux Comités Populaires Féminins de la Résistance, luttant contre la déportation de travailleurs en Allemagne, apportant leur aide aux familles de prisonniers, aidant au ravitaillement des maquis. Ce sont ces comités où se retrouvaient, comme l'avait souhaité Danielle, des femmes d'opinions et de croyances diverses qui ont aboutis dès avant la libération à la création de l'Union des Femmes Françaises.

« Je me rappelle, évoque Marie Stefanini, avoir fait le tour du village pour récolter du lait pour les petits Espagnols que Danielle voulait aider. On les portait à Ajaccio d'où ils partaient pour l'Espagne.

En 1941, Danielle s'occupait également – avec le philosophe Georges Politzer, le physicien Jacques Solomon et l'écrivain Jacques Decours- de regroupements d'intellectuels de différentes appartenances politiques opposés à l'occupation de notre pays et qui éditaient des journaux clandestins dès la fin de 1940, telles L'Université Libre et La Pensée Libre. Ces groupements devaient aboutir dès le 15 mai 1941 à un appel pour la création d'un Front National pour la Libération de la France, qui a eu en Corse un rôle également important puisque cette île fut la première terre française à s'être libérée de l'occupant.

Le dépot de la préfecture

"C'est à partir de ce 11 février 1942 où Danielle est arrêtée, qu'elle affirme le mieux son indomptable liberté, cette liberté indomptable des âmes fortes que ne peuvent réduire bourreaux, prisons, tortures, ni la mort même. Elle débouche maintenant dans l'héroisme, c'est par l'achévement sublime de sa grande vie qu'elle entre dans l'immortalité. Pas un jour, pas une heure pendant ce long calvaire, Danielle ne va renoncer au combat. Parmi toutes ces patriotes admirables que sont ses compagnes de captivité, jamais elle ne cessera d'être le guide, le symbole, l'exemple."

Danielle fut enfermée à la cellule 14, meublée de 2 lits de fer déglingués et 2 petits bancs, avec 25 autres prisonnières. "Toutes ces femmes n'étaient pas des patriotes militantes. Beaucoup avaient été prises dans des rafles, d'autres avaient été arrêtées parce qu'lles étaient les femmes ou les proches de militants connus (...) mais ce ne fut pas long : en un moment Danielle avait animé tout celà. Elle consola celles qui pleuraient, rendit courage à celles qui désespéraient, leur insuffla à toutes une vie politique, leur apprit des chansons, demanda à celles qui savaient chanter d'entraîner les autres. Bientôt on entendit des éclats de rires et des chansons sortir de la cellule 14, et toutes les autres s'empressèrent d'imiter un si bel exemple" Simone Thery ( Extrait de « Du soleil plein le coeur – La vie merveilleuse de Danielle Casanova » - Editions hier et aujourd'hui )

C'est du dépôt que commence la série de ses admirables lettres à sa mère :

"....Je suis fière de ma vie... Si je n'ai plus au-dessus de ma tête le soleil radieux de la Corse, ni celui de l'Ile de France, j'ai du soleil plein le coeur,. Je me sens calme et solide..."

"...Je me sens très forte et autour de moi les amies qui m'entourent sont admirables de courage...Ne pensez jamais à moi avec inquiétude, je suis heureuse..."

"...N'oublies pas de parler de moi avec tous ceux que tu connais, car à l'heure actuelle, c'st une fierté que d'être emprisonnée..."

"...J'amuse bien souvent les amies qui m'entourent, surtout lorsque je chante" (Danielle chantait horriblement faux)...

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Dans sa deuxième lettre Danielle confiait le petit Michel Politzer à sa mère. Ci dessous un extrait d'une lettre transmise clandestinement à ses parents par Maÿ Politzer :

"Mon amie Danielle Casanova me propose de vous envoyer tous les trois en Corse chez sa mère. Si on vous le propose acceptez car la Gestapo nous a menacés Georges et moi d’envoyer Michel en Allemagne où ils l’élèveront jusqu’à 21 ans. S’ils ne le font pas encore, ils risquent de le faire un jour. Nous commençons à savoir qu’ils tiennent beaucoup de leurs promesses. Aussi n’hésitez pas à mettre le petit à l’abri et même vous-mêmes à l’abri si c’est possible".

La prison de la Santé

Romainville

Auschwitz II Birkeneau

Le typhus